Dix ans après l’appel d’offre lancé par l’Etat pour la construction d’un parc éolien en Baie de Saint-Brieuc, les résistances locales au projet n’ont fait que grandir. Le début des travaux annoncé le 3 mai attise la révolte. Retour sur un projet d’État à marche forcée.
Article publié le 02/05/2021 par france3-regions.francetvinfo.fr
Si l’éolien en mer apparaissait à la fin des années 2000 comme une alternative énergétique d’avenir, en 2021 cette industrie maritime et financière ne fait plus du tout rêver ceux qui s’y sont intéressés de près.
En 2008, j’étais favorable à l’éolien, a priori. Après avoir travaillé plus de dix ans sur le dossier, j’y suis totalement opposée. C’est une énergie intermittente subordonnée à une énergie fossile, qui nécessite des terres rares, des investissements exorbitants, des chantiers colossaux extrêmement nuisibles à la nature.
Marie-Paule Allain, adjointe à l’urbanisme et à l’environnement à la mairie d’Erquy
Marie-Paule Allain a milité pendant de longues années dans l’association Erquy Environnement, avant de rejoindre la mairie d’Erquy.
« Pour nous, ce parc éolien est une menace existentielle. Erquy est une commune littorale qui vit essentiellement de la pêche et du tourisme. Une installation industrielle dans la Baie va perturber, abîmer tout l’écosystème. On est extrêmement inquiets».
Des inquiétudes anciennes
Le vent de colère qui souffle actuellement dans la Baie de Saint Brieuc n’est pas nouveau. En 2007, les pêcheurs s’inquiétaient déjà d’un éventuel parc éolien au beau milieu du plus grand gisement de coquilles Saint-Jacques de France, une ressource patiemment préservée depuis les années 70. Les associations de défense de l’environnement redoutaient alors elles-aussi la destruction d’un patrimoine naturel unique.
Quatorze ans plus tard, malgré les nombreux recours juridiques engagés en France, tous rejetés à ce jour, les manifestations de pêcheurs, les demandes d’annulation du projet, et un ultime recours déposé par les artisans pêcheurs devant le Tribunal de l’Union européenne, la centrale éolienne va voir le jour. Une décision entérinée successivement par les présidents Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron.
Face à la surdité de l’Etat, l’incompréhension et la contestation n’ont fait que forcir au fil des années. Les opposants dénoncent à l’unanimité un projet politique et industriel imposé sans concertation, sans réel débat public et sans études d’impact précises.
Créer une filière industrielle de l’éolien offshore en France
En 2011, le Président Nicolas Sarkozy donne le feu vert à plusieurs parcs éoliens offshore, dont celui de Saint-Brieuc, avec l’ambition de créer une filière industrielle en France. Aucun débat public n’a encore eu lieu.
L’Etat lance donc un appel d’offre pour la construction et l’exploitation d’éoliennes de 500 mégawatts sur le domaine maritime au large de Saint-Brieuc, à 10 km des côtes minimum. C’est le consortium Eolien maritime SAS qui arrive en tête. Pour autant, Ailes Marines SAS, dont l’actionnaire principal est la multinationale espagnole de l’énergie Iberdrola remporte la mise en 2012. Une attribution entachée d’irrégularités, qui sera reconnue comme telle par le Conseil d’Etat quelques années plus tard.
A l’époque, parmi les critères déterminants pour la sélection des candidats sont avancés « la qualité du projet industriel et social, le prix de rachat de l’électricité proposé, le respect de l’environnement, de la mer et de ses usagers ». Les lauréats s’engagent à « s’assurer de la pérennité de leur projet et à l’absence de risques environnementaux ». Dans la foulée, une instance de concertation et un comité de suivi sont mis en place.
Pourquoi un parc éolien en mer en Baie de Saint-Brieuc ?
Les associations environnementales de la Baie, très inquiètes pour l’avenir de ce site naturel exceptionnel, se documentent tous azimuts sur l’énergie éolienne en mer et décortiquent tous les documents, les chiffres présentés par Ailes Marines. Au fil de leurs recherches, de ces milliers de pages analysées méthodiquement, elles se demandent consternées : pourquoi et comment la Baie de Saint-Brieuc a pu être choisie ?
C’est aussi l’interrogation de l’Autorité Environnementale, structure indépendante missionnée par le ministère de l’Ecologie dans un avis rendu en 2016 :
Considérant la grande richesse patrimoniale et paysagère de l’aire d’étude, les multiples protections juridiques dont elle bénéficie et les très nombreux sites classés (Natura 2000 – Réserve naturelle ) Pour quelles raisons le projet de Saint-Brieuc a été retenu eu égard aux effets sur l’environnement et la santé humaine ?
A cette question, Ailes Marines répond dans le dossier livré au débat public : « solution durable aux urgences énergétiques et climatiques », « croissance industrielle et énergétique », « projet d’énergie renouvelable pour la Bretagne ». Le projet de Saint-Brieuc s’inscrit dans un plan énergétique national. Les qualités particulières de la Baie, la nature de ses fonds marins, sa biodiversité, l’amplitude de ses marées – le plus grand marnage d’Europe -, la pêche et le tourisme qui représentent des milliers d’emplois n’ont pas été des arguments de nature à freiner les ambitions éoliennes nationales.
« Tout est gâché d’en haut », déplore Marie-Paule Allain, ajointe à la mairie d’Erquy, « depuis Paris, Bruxelles, Madrid, par des gens qui sont dans leur tour d’ivoire et sont prêts à tout sacrifier au nom de la politique. Le bien commun a totalement disparu derrière des intérêts politiques ».
L’association Gardez les Caps qui bataille depuis dix ans contre l’implantation des éoliennes souligne « L’État n’a pas hésité à accorder 61 dérogations à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées dans la Baie pour permettre la construction de cette centrale éolienne ».
Un projet gigantesque au coût exorbitant
Présentées comme de minuscules allumettes à l’horizon lors des réunions publiques, les 62 éoliennes de 207 mètres de haut font la taille de la tour Montparnasse ou pour une référence plus bretonne ce sont deux fois la hauteur des tour des Horizons à Rennes ou trois fois la hauteur du viaduc qui enjambe le port du Légué à Saint-Brieuc. Elles se répartiront sur 75 km2. Les pieux des fondations – trois pour chaque éolienne – s’enfonceront à plus de 40 mètres de profondeur.
Les travaux à la charge de l’opérateur Ailes Marines – Iberdrola sont estimés à 2,5 milliards d’euros. En dix ans, le buget initial a plus que doublé. Mais la concession du domaine maritime s’accompagne d’un tarif de rachat de l’électricité très avantageux pour l’opérateur. En 2012-2014 il tournait autour de 225 euros le mégawatt. Le double du prix du marché. Après renégociation avec l’Etat, il est tombé à 155 euros le mégawatt, un tarif garanti pour 20 ans qui en fait néanmoins « l’électricité la plus chère d’Europe » selon l’association Gardez les Caps. (Aujourd’hui, le prix moyen des nouveaux projets d’éoliennes en mer est de 51 euros le mégawatt).
D’autant que pour parvenir à cet accord, Iberdrola s’est délesté du financement de la station de raccordement à la charge désormais de RTE, le gestionnaire public du réseau de transport d’électricité. Le démantèlement de la centrale dans 40 ans sera également payé par les contribuables français.
La recherche de profits ?
Les détracteurs du projet dénoncent depuis de nombreuses années les avantages financiers exorbitants accordés à Iberdrola. Des recettes garanties de 4,7 milliards d’euros d’argent public. Ce qui représente plus de 2 milliards de bénéfices.
« En réalité dans cette affaire, le côté industriel est secondaire » explique Jean- Marie Beaudlet, président de l’UPEL (Union du Penthièvre et de l’Emeraude pour l’Environnement et le Littoral), association qui regroupe Pléneuf, Fréhel, Plurien, St Cast le Guildo, Erquy et Lancieux, « les entreprises qui montent ces projets sont des groupes financiers qui cherchent des profits énormes sans prendre de risques. Sur le plan énergétique, leurs propositions n’ont aucun intérêt. Le vent est gratuit certes, mais si on additionne le béton, les métaux rares, les 64 tonnes d’aluminium rejetées dans la mer chaque année, sans parler du cadmium, ni de la centrale au gaz indispensable au fonctionnement du parc éolien… Le bilan écologique des éoliennes en mer est désastreux. Mais ça rapporte de l’argent ».
Le 12 novembre 2019, les pêcheurs artisans ont déposé un recours – non suspensif – devant le Tribunal de l’Union européenne concernant l’aide publique de 4,7 milliards d’euros accordée par la France à Ailes Marines. Une subvention qui aurait dû être signalée à la commission dès 2012. Le recours est accepté et en attente d’être examiné.
Des études d’impact insuffisantes pour les scientifiques mais suffisamment sérieuses pour la Justice
Pendant les travaux, la zone sera interdite d’accès. Des travaux pharaoniques dont on mesure difficilement l’impact sur la faune et la flore de la Baie. La technologie est nouvelle, ses effets sur les milieux naturels méconnus. Pour autant, la justice a fini par rejeter tous les recours portant sur l’environnement. Les pêcheurs attendent toujours des réponses décisives pour leur avenir.
On ne peut pas se louper. On ne peut pas donner un feu vert à la construction sans savoir ce qu’il va advenir de la ressource halieutique. Il y a une grande diversité d’espèces qui vont disparaitre à cause du bruit, ça on le sait. Mais est-ce qu’elles reviendront ? Les connaissances actuelles sur le sujet sont très réduites. On ne sait pas.
Grégory Le Droumaguet, chargé de mission au comité des pêches des Côtes d’Armor
Depuis dix ans, les associations environnementales et les pêcheurs demandent des études d’impact indépendantes sur toutes les conséquences de la construction du parc. Quel est l’état initial de la nature ? Quels sont les risques encourus ? Or à ce jour, les réponses apportées par Ailes Marines – Iberdrola restent très en dessous des recommandations du comité scientifique. Pour les opposants, les rapports présentés ne sont pas à la mesure des enjeux.
« Dans le projet de la Baie de Saint-Brieuc, le promoteur est juge et partie des études d’impact : il choisit à la fois les cabinets de conseil qui mènent les études, les méthodologies employées et gère la publication des résultats » déplore Katherine Poujol, présidente de l’association Gardez les Caps.
Mépris à l’égard de ceux qui font vivre la Baie
L’annonce du démarrage des travaux le 3 mai 2021 sans l’assentiment des pêcheurs, sans attendre la décision du Tribunal de L’Union européenne est le passage en force de trop pour tous ceux qui font vivre la Baie de Saint-Brieuc. « Un signe de plus du manque de considération, du mépris du pouvoir politique pour les locaux » précise un opposant.
Dans une lettre adressée au gouvernement, Alain Coudray, Président du Comité des pêches des Côtes-d’Armor interpelle l’État sur ses responsabilités : « la profession refuse que tout ce qu’elle s’évertue à préserver soit balayé par un industriel qui agite son carnet de chèque sans aucun respect pour les acteurs du territoire ».
Lettre du comité des pêches au gouvernement 30 avril 2021
« C’est une gabegie financière, un désastre écologique qui s’annonce » tempête Jean-Marie Beaudlet, président de l’UPEL (Union du Penthièvre et de l’Emeraude pour l’Environnement et le Littoral).
Les marins-pêcheurs promettent de sortir les bonnets bleus à partir du 3 mai pour accueillir les bateaux de chantier dans la Baie. Tandis que les opposants à terre se sont donnés rendez-vous devant la Préfecture des Côtes-d’Armor à Saint-Brieuc à partir de 10 heures.
Le Parc éolien de la Baie de Saint-Brieuc en quelques dates
2007 : Libéralisation du marché de l’énergie en Europe.
2009 : La Région Bretagne et l’Etat choisissent la Baie de Saint-Brieuc pour un futur parc éolien. Une autre zone au large de Cancale et Saint-Malo est rapidement abandonnée.
2011 : L’Etat lance un appel d’offre pour la construction et l’exploitation de 5 parcs éoliens offshore : Saint-Brieuc, Courseulles-sur-mer, Fécamp, Le Tréport, Saint-Nazaire.
2012 : L’appel d’offre pour le parc de la Baie de Saint-Brieuc est attribué à Ailes Marines SAS, société au capital de 3000 euros, basée à Paris, filiale aujourd’hui à 100 % de la multinationale de l’électricité Iberdrola.
Mise en place d’une instance de concertation et d’un comité de suivi.
2013 : Débat public. Entre Mars et juillet. Plusieurs réunions permettent à Ailes Marines de présenter son projet, les habitants posent des questions. Différentes études d’impact indépendantes sont demandées notamment sur le tourisme, la nature et la pêche.
2016 : Enquête publique en août et septembre. 60% des contributeurs’expriment contre le projet.
2017 : A 5 jours de l’élection présidentielle, le gouvernement de François Hollande délivre l’autorisation de construction et d’exploitation du parc éolien à Ailes Marines pour 40 ans.
2018 : La cour administrative d’appel de Nantes annule l’arrêté approuvant la convention d’utilisation du domaine public maritime acccordée à Ailes Marines en 2017.
2019 : Le 26 juillet, la Commission européenne entérine l’aide de la France d’un montant de 20 milliards aux 6 parc éoliens en mer. 4,7 milliards pour le projet de la Baie de Saint-Brieuc.
Le 12 novembre, les pêcheurs artisans déposent un recours – non suspensif – devant le Tribunal de l’Union européenne demandant l’annulation de cette décision. L’aide publique de 4,7 milliards d’euros accordée par la France à Ailes Marines aurait dû être signalée à la commission dès 2012. Le recours est accepté et en attente d’être examiné.
2021 : Le 15 mars, les travaux de raccordement du futur parc éolien démarrent devant la plage de Caroual à Erquy. Financés par RTE, gestionnaire de transport d’électricité.
La mairie d’Erquy, opposée au projet, a refusé dans un premier temps de délivrer l’autorisation d’occupation de l’espace public. Elle finit par capituler au bout de 30 jours et 45 000 euros de pénalités, harcelée par les appels du Préfet et de RTE, menacée d’être privée des dédommagements prévus si elle persiste.
Le 3 mai, début annoncé des forages en mer pour l’installation des fondations des éoliennes. Travaux prévus de mai à octobre pour la première tranche. Le chantier doit durer 3 ans.
2023 : Mise en service du parc éolien de la Baie de Saint-Brieuc.