Commission des affaires européennes, extraits du compte-rendu de la réunion du 12 juillet 2016, chacun prêchant pour sa paroisse…
https://www.nosdeputes.fr/14/seance/6947
François Brottes, président du directoire de Réseau de transport d’électricité
L’Europe de l’électricité connaît actuellement une transformation radicale, du fait notamment de la multiplication des modes de production et des différents types de consommation. Nous sommes dans une période de turbulences, qui se traduit par la baisse régulière des prix spot : en mai, le prix moyen de la base était de 24 euros le mégawattheure contre 42 euros pour l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) – jamais nous n’aurions pensé, à l’époque où nous avons voté le dispositif, que les prix de marché puissent être en dessous du prix de l’ARENH. Il y a eu, par ailleurs, deux épisodes de prix négatifs en France au cours de ce même mois, tandis qu’en Allemagne, les prix ont atteint la valeur de moins 140 euros le mégawattheure la semaine dernière.
Dans ces conditions, les investissements se tarissent et la sécurité d’approvisionnement n’est plus garantie sur le long terme : lorsque c’est moins cher que gratuit, c’est un problème pour les investisseurs. Pourtant, le consommateur ne constate nullement les effets de cette baisse des prix de gros sur sa facture car, par ailleurs, la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) continuent d’augmenter.
La Commission européenne s’apprête donc à modifier les règles du jeu, sachant que demeure la question du rôle qu’elle peut jouer dans un domaine où les États sont souverains. J’ajoute que, désormais, dans une Europe dotée d’une plateforme de l’électricité, les flux n’obéissent plus à une logique d’import-export, et ce n’est plus pour suppléer à un manque de fourniture que l’on va se servir à l’étranger mais parce que les prix y sont, le cas échéant, plus attractifs.
Marc Bussieras, directeur de la stratégie du groupe EDF
Le marché européen de l’énergie fonctionne de façon efficace au quotidien, au sens où ce sont les centrales dont les coûts variables sont les moins élevés qui sont sollicitées pour couvrir la demande.
Cela étant, le fait que le mégawattheure soit actuellement à 30 euros en France et à 25 euros en Allemagne n’a aucun sens en termes économiques, et il faudrait au minimum doubler ce prix pour pouvoir couvrir les investissements, qu’il s’agisse du secteur des énergies renouvelables ou conventionnelles.
Le marché est donc extraordinairement et durablement déprimé, en proie à de forts dérèglements. Ainsi, l’Allemagne annonce-t-elle 24 à 25 milliards d’euros de subventions aux énergies renouvelables, payées par les consommateurs d’électricité. Or sa consommation intérieure annuelle intérieure est de l’ordre de 530 térawattheures d’électricité, soit, avec un coût de marché autour de 25 euros, une consommation globale d’une valeur de 14 milliards d’euros au prix de marché. En d’autres termes, mue par l’idée de libéraliser le marché, l’Europe en est arrivée aujourd’hui à instaurer une économie de la subvention, même si l’Allemagne est un exemple extrême.
À ce dérèglement s’ajoute le fait que nous n’avons pas su articuler correctement la politique de libéralisation du marché et la politique de lutte contre le changement climatique. Ainsi, avec un prix du CO2 à 5 euros la tonne, envoie-t-on aux agents économiques un signal de quasi-gratuité qui ne peut que les inciter à en produire. Et c’est ce qui se passe concrètement, les centrales à charbon fonctionnant aujourd’hui à plein. Deuxième exportateur d’électricité derrière la France à l’échelle européenne, l’Allemagne aujourd’hui n’exporte pas du renouvelable mais bien de l’électricité produite par les centrales à charbon, celles-ci ayant gagné la bataille de la concurrence avec les centrales à gaz des pays voisins.
Autrement dit, le dérèglement des prix n’affecte pas uniquement les investissements à long terme mais également le fonctionnement du système à court terme, en favorisant les émissions de CO2. Si nous voulons mettre un terme à ces dérèglements et décarboner la production, il faut donc régler la question du signal prix et donner au CO2 un prix pertinent. Cela fait partie des sujets qui sont sur la table et doit être abordé de façon prioritaire, si l’enjeu dominant est de redonner la main aux acteurs du marché pour qu’ils s’orientent vers les solutions économiques les plus pertinentes et les plus favorables au consommateur.
D’autres points importants méritent également d’être abordés, comme le marché de capacité. Il s’agit d’un enjeu majeur, dans la mesure où la fermeture d’importantes capacités de production est susceptible de remettre en cause notre sécurité d’approvisionnement.
Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables
Depuis les accords de Kyoto, l’Union européenne a diminué ses émissions de gaz à effet de serre, ce qui est moins lié à la crise économique qu’à la progression des énergies renouvelables. Il ne faudrait donc pas que les textes en préparation, qu’il s’agisse de la réforme du marché ou de la directive « Énergies renouvelables », aient pour effet de ralentir cette progression mais qu’au contraire ils stimulent la production d’EnR dans des conditions plus compatibles avec le marché.
On a certes évoqué la part croissante des énergies dites intermittentes dans le système électrique européen, mais ces énergies variables ne représentent encore qu’une petite partie de l’énergie totale, puisque en France elles ne comptent que pour 6 % environ de notre consommation. Il existe, par ailleurs, des moyens de gérer cette variabilité ; j’en citerai trois, directement liés au marché de l’électricité :
Le premier est le développement des interconnexions, entre régions ou entre pays, mais aussi l’exploitation maximale de ces interconnexions. De ce point de vue, la réussite d’EPEX Spot mérite d’être soulignée ;
Le deuxième consiste à miser sur la flexibilité des moyens de production complémentaires, au premier rang desquels l’hydroélectricité qui, outre le fait que sa flexibilité est maximale, a de surcroît la vertu d’être renouvelable et non émettrice de gaz à effet de serre. On peut également citer le cycle combiné gaz, qui est la moins carbonée des énergies fossiles ; extrêmement flexible, elle est cependant défavorisée aujourd’hui par le marché ;
Le troisième moyen – mais il y en a d’autres – consiste à piloter les consommations et le stockage au moyen de réseaux dits « intelligents », ce qui nécessite également d’avoir des tarifs intelligents. Nous avons véritablement besoin d’un signal CO2, comme le montre l’excellente étude de RTE et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), selon laquelle, à partir de 30 euros la tonne de CO2, non seulement le merit order entre le gaz et le charbon s’inverse mais la flexibilité et la rentabilité du stockage sont favorisées.
Cela étant, les attentes du secteur des énergies renouvelables en ce qui concerne la future directive « Énergies renouvelables » pour la période 2020-2030 sont doubles. En premier lieu, nous souhaitons évidemment que cette directive soit compatible avec la réforme du marché de l’électricité. Nous attendons d’elle qu’elle définisse un cadre réglementaire qui sécurise juridiquement les dispositifs de soutien nationaux au développement des énergies renouvelables. En effet, ce soutien restera nécessaire au moins jusqu’en 2030, non seulement parce qu’il n’y a pas d’internalisation suffisante des coûts externes, notamment du CO2, mais également parce que le marché de l’électricité tel qu’il est conçu aujourd’hui ne permet pas le développement d’investissements très capitalistiques avec peu de frais de fonctionnement – ce n’est pas seulement vrai pour les EnR mais également pour le nucléaire.
Nous souhaitons ensuite que les États membres restent maîtres de leur mix énergétique, ce qui signifie que l’intégration au marché ne peut pas se faire par des appels d’offres à neutralité technologique, ainsi que l’envisagent certains au sein de la Commission européenne. Si nous sommes favorables à l’intégration des énergies renouvelables au marché, c’est avec un certain nombre de règles communes qu’il appartient aux États membres de définir sans qu’elles leur soient imposées par la Commission.
Marc Jedliczka, porte-parole de l’association négaWatt
Négawatt ne peut que se satisfaire de constater que la demande électrique se stabilise, voire décroît, ce qui ne signifie nullement une décroissance de la richesse ou du PIB.
Cela étant, l’avenir de l’énergie aujourd’hui, ce sont deux technologies émergentes mais destinées à être dominantes demain et à remplacer à terme les énergies conventionnelles comme le thermique ou le nucléaire : le photovoltaïque et l’éolien, même si les autres énergies renouvelables ont également leur part à prendre. Ces énergies, déjà compétitives dans de nombreux cas, seront globalement moins coûteuses à l’avenir. En outre, elles sont créatrices d’emplois, comportent moins de risques industriels et sont bonnes du point de vue du changement climatique.
Elles vont nécessiter davantage de flexibilité sur le réseau, au niveau de la production, de la consommation ou du stockage, grâce en particulier, dans ce dernier cas à la valorisation des excédents électriques, puisque la technologie du power to gaz, c’est-à-dire la jonction entre les systèmes électrique et gazier, pourrait permettre, demain, de faire rouler voitures et camions. Certes, nous n’en sommes encore en la matière qu’au stade de la recherche et développement, mais c’est un procédé qui, à l’horizon 2030 – sans doute un peu plus tard en France –, deviendra incontournable, et les décisions d’aujourd’hui doivent donc s’inscrire dans cette vision de moyen terme.
En ce qui concerne la gestion des actifs et les investissements réalisés, soyons clairs : on ne peut lutter contre le changement climatique, réduire les risques d’approvisionnement ou les risques industriels sans admettre qu’il y aura des coûts échoués. L’important est de les limiter, ce qui implique de raisonner régionalement.
Quant à la coopération, il doit s’agir d’une coopération matérielle sur les réseaux mais également d’une concertation globale afin d’aboutir à un retrait coordonné des surcapacités. La chute des prix de l’électricité est aujourd’hui un problème pour tout le monde et rend obligatoire – ne nous voilons pas la face – que certains s’effacent. Ce ne pourra être que les producteurs d’énergies fossiles et, de manière plus générale, les producteurs les moins flexibles, dont le nucléaire. Or aujourd’hui, et c’est bien un signe que le marché dysfonctionne, alors que l’on a besoin de flexibilité, ce sont les producteurs les plus flexibles qui disparaissent en premier, comme les centrales à cycle combiné gaz. Il est donc primordial d’associer à la réforme du marché de l’électricité une réforme du système communautaire d’échange de quotas d’émission de carbone, et de garantir sur la durée les revenus pour les énergies renouvelables.
En ce qui concerne les marchés de capacité, c’est, selon nous, un problème francofrançais, lié au poids du chauffage électrique dans la demande actuelle. Or il nous semble qu’il y a d’autres manières de résoudre la question de la sécurité d’approvisionnement que de garder des unités de production sous cocon pendant 8 500 heures par an pour les faire fonctionner quelques dizaines d’heures seulement. Ce n’est raisonnable ni en termes de dépense publique ni en termes de coût collectif et, si ceux qui ont investi dans ces unités souhaitent continuer à gagner de l’argent, mieux vaut qu’ils se reconvertissent dans d’autres activités : tout le monde y gagnera.