Economie Matin, « Les Experts », Jean-Pierre Riou, 29/03/2015
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La COP21 a pour but de trouver des solutions pour limiter le réchauffement climatique sous la barre des 2 degrés d’ici 2100.
La Conférence des Parties COP21 2015 doit réunir à Paris les décideurs du monde entier pour convenir des mesures nécessaires face à « l’urgence climatique ».
Des centaines de milliards de dollars sont en jeu pour prétendre « contenir » le réchauffement planétaire sous la limite de 2° d’ici 2100. La réduction des émissions de gaz à effet de serre est retenue comme moyen privilégié. Le CO2 est désigné principal responsable. Une quantité d’argent public d’une ampleur inédite est programmée.
Le manque de réalisme de la loi sur la transition énergétique
Dans ce dispositif, quelle place raisonnable conférer aux énergies renouvelables intermittentes ? L’évaluation de trois paramètres ne peut être évitée :
– La pertinence de la cible privilégiée retenue, qu’est le parc électrique français, alors qu’il n’émet pas de CO2.
– L’incapacité avérée des énergies intermittentes à réduire, en Allemagne, ces émissions.
– L’ampleur des effets collatéraux du développement de l’intermittence en regard de la projection du système électrique européen dans un avenir incertain, couteux et rétrograde.
L’Académie des Sciences vient de publier un rapport qui dénonce ce manque de réalisme des objectifs du projet de loi sur la transition énergétique et craint que cette politique contre-productive ne se fasse au détriment de l’essentiel.
En premier lieu, ce rapport mentionne, p 8, la bonne performance de la France, avec 5.1 tonne de CO2 par an et par habitant, contre 9.21 en Allemagne (et 16.15 aux Etats-Unis). Soit, pour le total de leurs habitants, 336 Mt CO2 en France et 736Mt CO2 en Allemagne. Il semble important de comprendre que cette différence d’environ 400Mt, entre le plus gros pollueur européen qu’est l’Allemagne et l’excellent élève qu’est la France, relève presque exclusivement de la différence entre les émissions de leurs parcs de production d’électricité. Et que ce secteur, dépendant à 43.6% du charbon en Allemagne (2014), est responsable, à lui seul, de pas loin de la moitié de ses émissions de CO2, avec environ 300Mt.
En conséquence, la suppression totale de toute émission de CO2 dans la production d’électricité française ne représenterait aucun intérêt significatif en regard de « l’urgence climatique évoquée. (Le dernier Bilan RTE indiquant, p23 moins de 20MtCO2 en 2014) D’autre part, la part de production pilotable, indispensable pour réagir en temps réel aux besoins de la consommation…et à l’intermittence des énergies renouvelables, semble incompressible. Et le thermique à flamme y excelle.
La loi sur la transition énergétique veut programmer une capacité de 19 000MW éoliens terrestres d’ici 2020. Concernant l’incapacité des énergies intermittentes à participer à la réduction des émissions, le retour d’expérience allemand est édifiant. Les chiffres de la Commission Européenne : « EU ENERGY IN FIGURES 2010CO2 Emissions by Sector » indiquent l’évolution des émissions de leur parc électrique pendant le développement de leurs 22 000 premiers MW éoliens. Durant cette période, l’Allemagne a réduit ses émissions de CO2 de façon significative dans quasiment tous les secteurs… sauf celui de production d’électricité, où elle est même passée de 335.8MtCO2 à 345.7MtCO2.
Comment le développement d’un système qui ne parvient à la moindre réduction d’émission sur un si gros pollueur les réduirait dans un parc de production exempt de CO2 à plus de 90% ?
Les émissions de CO2 de chaque pays sont liées à son PIB. Le rapport de l’Académie des Sciences mentionne : « Avec 227 t CO2 émises par M€ de PIB, la France est l’une des économies parmi les moins carbonées en Europe, la deuxième après la Suède ». Notons, pour l’anecdote que le retard que nous avons sur la Suède en matière éolienne tient essentiellement au fait que nous n’avons pas encore de parc offshore, tandis que la Suède en est déjà au démontage, son économie peu carbonée n’étant caractérisée que par une forte hydraulicité (50 %) et l’importance du nucléaire (40 %), ainsi que le mentionne le rapport de l’Académie des Sciences.
Ce rapport précise encore, ainsi qu’on pouvait s’y attendre : « On peut de ce point de vue noter qu’en Allemagne la croissance de l’offre intermittente d’électricité d’origine renouvelable a nécessité l’ouverture de nouvelles capacités de production thermiques à charbon (13 GW) ainsi que le développement de l’exploitation du lignite conduisant à des émissions accrues de CO2 et surtout de polluants (oxydes d’azote et de soufre à l’origine des pluies acides…). Ce constat devrait nous inciter à introduire de façon prudente et progressive des énergies qui ne sont ni contrôlables ni distribuables en fonction des besoins. »
Ce problème du contrôle et de la distribution n’est, en effet pas le moindre et exige de nouvelles interconnexions. Le rapport Derdevet qui vient d’être remis, ce 23 février prévoit la nécessité de 700 milliards d’euros pour la restructuration du réseau de transport et de distribution européen d’électricité, dans les 10 prochaines années. Il indique que 50 110 km de lignes haute tension et très haute tension sont nécessaires, selon l’EntsoE, afin de permettre la pénétration des 37% d’énergie intermittentes programmées, tout en mentionnant que Greenpeace avance que la moitié suffira (27 000km) pour permettre la pénétration du double (77%). Rappelons toutefois que c’est l’EntsoE qui gère l’équilibre électrique européen et non Greenpeace.
Une politique énergétique impossible ?
Le problème, par-delà la somme considérable que cette restructuration représente pour le contribuable européen, est l’acceptabilité sociale de ces nouvelles autoroutes de l’électricité qui pose une lourde hypothèque sur la faisabilité de cette politique énergétique. Expliquant le manque de réalisme des ambitions de cette politique relevé par l’Académie des Sciences, comme d’ailleurs avaient déjà averti la Cour des Comptes et le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP). Le risque étant alors de se doter d’une puissance installée intermittente considérable tout en étant régulièrement privés de courant pour ne pas pouvoir en acheminer la production selon les caprices de la météo.
Le CGSP expliquait cette crise du système électrique européen par le fait que les hypothèses sur lesquelles repose sa politique se sont révélées fausses, à peine le « paquet climat énergie » lancé. Mais il est une autre hypothèse qui n’a pas été évoquée et que ne semble même pas imaginer cette politique. C’est l’éventualité que les énergies de demain puissent ne pas être intermittentes. Les ruptures technologiques semblent vouloir se succéder et laissent même supposer que des applications relevant hier encore de la science fiction, comme le Thorium, Iter, Astrid, la transmission d’électricité sans fil, ou, tout dernièrement, la miniaturisation d’un réacteur à fusion annoncée par Lockeed Martin, sont de nature à révolutionner le domaine de l’énergie.
L’argent public destiné à notre politique énergétique est massivement employé à résoudre la quadrature du cercle, ou, si on préfère à tenter de rendre durable ce qui est intermittent. Quantité de mécanismes dévoreurs de subventions publiques s’y emploient, de celui de capacité à celui d’effacement ou de vaines et couteuses tentatives de stockage.
Comme si l’intermittence était une fatalité. La science annonce le contraire et promet de disqualifier rapidement l’incroyable échafaudage destiné à valoriser une invention vieille comme le monde et abandonnée depuis longtemps. Notre révolution verte pourrait laisser à l’Histoire l’étrange souvenir d’une génération fascinée par des moulins à vent géants, sans avoir vraiment trouvé ni comment s’en servir pour produire une énergie utile ni, en fait, son réel intérêt. Une génération éblouie par le produit phare d’une campagne publicitaire d’une ampleur inégalée, sans même en avoir lu la notice d’utilisation. Leur démontage, au moins, promet de l’emploi.