Le Figaro Economie, par Luc Lenoir, Publié le 29/09/2017
ENQUÊTE – Avec huit projets de parcs en mer, la France veut rattraper son retard en matière d’éolien offshore. Entre lubies écologiques et lobbys énergétiques, c’est le contribuable qui paiera la facture, pour une efficacité environnementale très discutée.
De Dunkerque à Oléron, 480 éoliennes de plus de 200 mètres de haut attendent de pousser devant les côtes, pour révolutionner notre approvisionnement en énergie. Des consortiums regroupant des groupes français et étrangers (EDF énergies renouvelables, Enbridge, WPD offshore, Iberdrola…) se sont, au gré des appels d’offres, partagé un marché lancé par l’État il y a déjà plus de dix ans. Mais c’est bien le contribuable qui l’alimentera, via une taxe qui a connu une augmentation de 650% en quinze ans: la «contribution au service public de l’électricité», visible sur sa facture d’énergie (CSPE).
La facture s’annonce très salée
Quels sont les montants en jeu ? En 2014, Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, avait annoncé un tarif de rachat de l’électricité éolienne en mer garanti aux industriels: 221,7€ du Megawatt-heure, soit quatre fois plus cher que le prix de marché projeté à 53,7€ en 2022. Un surcoût de 167€ pas anodin: l’effort sur les huit parcs se chiffre pour les Français à environ 2,7 milliards d’euros chaque année, pour 3% de l’électricité produite en France. Soulignant le faible rendement des parcs, Fabien Bouglé, militant au sein d’un collectif d’opposants, déclarait au Figaro en août dernier: ces éoliennes sont «des 2CV au prix de Rolls-Royce» ! Côté porteurs de projet, l’affaire semble en revanche intéressante : environ 450 millions d’euros de rentrées annuelles pendant 20 ans pour chaque parc, pour un investissement initial de 2 milliards, plus les coûts d’entretien.
Et pour leur faciliter la vie, des investissements publics conséquents sont également prévus. Bien que le nombre de postes potentiels soit aléatoire, la collectivité n’hésite pas à se mêler aux projets d’usines à éoliennes. Catherine Boutin, du collectif PULSE*, a recensé différentes annonces de subventions et d’investissements, et les chiffres sont ahurissants. D’abord, les travaux sous-marins de raccordement pèsent carrément des milliards, supportés par RTE. Ensuite, au Havre, à Cherbourg ou encore Dieppe, des centaines de millions d’euros publics sont d’ores et déjà prévus pour adapter les ports, aider les usines… D’autres subventions portent enfin sur la recherche. En face, les potentiels emplois perdus dans la pêche ou le tourisme ne sont pas chiffrés**.
Ce n’est pas fini : les pics de production ne correspondant pas aux pics de consommation, l’électricité achetée par l’État n’aura parfois aucun débouché (production en pleine nuit, etc.). À l’inverse, les éoliennes nécessiteront des «capacités de secours» pour pallier les moments de vent trop faibles. Au total, ces difficultés techniques pourraient, selon plusieurs sources, faire encore doubler le prix, qui serait alors huit fois plus cher que l’électricité conventionnelle !
Un chiffre qu’Olivier David, spécialiste à la Direction Générale de l’Énergie et du Climat (DGEC) au ministère de la Transition écologique, interrogé par Le Figaro, qualifie de «fantaisiste».
Les objectifs: modifier le «mix énergétique» et faire éclore une filière industrielle
L’État se fait-il rouler? Olivier David rappelle d’abord que le prix de l’électricité ne comptait que pour 40% de la note dans les dossiers reçus à la suite des appels d’offres de chaque parc: «Les aspects industriels comptaient pour 40% également, et le respect de la mer et de ses usages pour 20%». Le ministère est parti du principe que le système d’appels d’offres permettait à chaque fois de faire émerger le meilleur tarif possible: «Il y a eu une concurrence féroce sur l’attribution des parcs, d’ailleurs pour deux parcs, des recours ont eu lieu après attribution», souligne le spécialiste. De même, «les décisions des appels d’offres sont notifiées à la Commission européenne pour une enquête sur le respect des procédures relatives aux aides d’État».
L’ingénieur souligne que les porteurs de projet ont indiqué le taux de rentabilité interne (TRI) espéré pour chaque parc, et que «si on constate un décollage de ce TRI, l’État pourra revenir sur le prix effectif de rachat». Sur ce point cependant, les artifices comptables sont nombreux et nous n’avons pas eu accès aux documents d’attribution, confidentiels. Les passages concernant la fixation du prix sont particulièrement lapidaires dans les documents officiels…
Par ailleurs, si la Commission européenne demande qu’il n’y ait pas de sur-rémunération, les mécanismes précis de contrôle ne sont pas encore décidés.
Une stratégie publique périmée ?
Les projets éoliens en mer reposent donc clairement sur une volonté politique. L’État français compense l’absence de rendement des éoliennes au large des côtes par un prix de rachat surélevé: en mer du Nord, (où le vent est plus fort et régulier) l’électricité produite est quasiment au prix de marché. Quant à l’intérêt de la filière industrielle (40% de la note des appels d’offres), il est discutable : certains pays parlent déjà d’en finir avec l’éolien posé en mer. L’éolien flottant au large semble plus prometteur : le marché est encore à ses balbutiements, les fonds marins exploitables bien plus nombreux, et la France encore dans la course… Olivier David le confirme : «En matière d’éolien flottant, nous sommes leaders.»
Dès lors, que diable l’État va-t-il faire dans cette galère ? Aujourd’hui, les projets de parcs semblent davantage tenir et avancer sur leur propre inertie. Les industriels comme les collectivités locales peinent à convaincre les populations concernées, les retards s’accumulent. Pourquoi ne pas engager les efforts sur la recherche, et l’amélioration d’autres pans de l’économie circulaire ? Est-il moins intéressant de financer la baisse de consommation en se focalisant sur l’efficacité énergétique, plutôt qu’une très pénible «verdisation» des sources ? Si le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot s’est pour l’instant montré prudent et habile, le dossier va bientôt nécessiter, quoi qu’il arrive, des décisions courageuses.
*Pour Un Littoral Sans Éoliennes
**Les impacts non maîtrisés pourraient faire grimper la facture. Les associations évoquent actuellement les anodes sacrificielles, masses d’aluminium et de zinc rivés sur les éoliennes pour ralentir la corrosion, et qui rejetteront des centaines de kilos de métal chaque jour. L’ensemble de la faune et de la flore marines pourrait être contaminé et l’industrie pourrait pâtir gravement de cette «transition énergétique».