« Ce soir le peuple de Mers, du Tréport, du département de la Somme, les marins pécheurs du Tréport, et l’ensemble des élus locaux disent NON à votre projet. »
Nous publions le remarquable discours prononcé par Monsieur Emmanuel Maquet, Maire de Mers-les-Bains, pour la réunion de clôture du Débat Public du projet de parc éolien en mer au Tréport. L’assistance debout a longuement applaudi.
Mesdames et Messieurs,
Il me revient le plaisir de vous accueillir pour cette dernière réunion de débat public ici à Mers-les-Bains. Je m’exprimerai dans quelques instants sur le fond du sujet qui nous mobilise ce soir, mais dans ce mot d’introduction républicaine, je souhaite vous exprimer mes doutes et mes inquiétudes sur la considération que l’Etat aura des échanges, des arguments et des prises de position de notre débat.
J’ai bien compris que la procédure devait être respectée. Elle le sera, mais la question de fond est de savoir si nous serons entendus. Je veux exprimer ici devant vous une exigence ; pour lutter contre l’abstentionnisme électoral et contre le populisme, le peuple doit être écouté. Dans l’hypothèse où le gouvernement ne tirerait pas les enseignements de la consultation des acteurs du territoire, nous devrions alors en déduire toutes les conséquences et ne rien exclure pour faire respecter la voix du peuple.
Je veux le rappeler ce soir, dans notre système démocratique, quand on sollicite la voix du peuple c’est pour la respecter. Il n’y aurait rien de pire, mesdames et messieurs, que de demander au peuple son avis pour ne pas le suivre. C’est un exercice exigeant, difficile, et parfois même contrariant. Mais notre système démocratique est ainsi structuré et pour rappeler le mot célèbre du premier ministre Anglais, sir Winston Churchill, la démocratie est le plus mauvais système à l’exception de tous les autres.
Alors ce soir, place au débat démocratique, place aux échanges mais surtout au respect et à la considération de tous les intervenants. Dans un débat démocratique, chaque voix s’additionne et aucune n’est supérieure à une autre. Chaque intervenant est légitime et les arguments des uns sont à prendre en considération sans condescendance sur les autres. Merci de m’avoir permis de rappeler ces fondements de la démocratie auxquels je tiens et qui doivent nous guider dans le respect de chacun, donc pour le bien de tous.
Mesdames et Messieurs, Mon intervention de ce soir me permettra d’exprimer la position de la ville de Mers-les-Bains, la position du syndicat mixte Baie de Somme – Grand littoral Picard, et enfin celle du conseil départemental de la Somme.
Le 30 juin dernier, le conseil municipal de Mers, s’est réuni pour étudier le projet d’implantation du parc éolien en Mer au large de nos côtes. Notre position repose sur plusieurs motivations. Mers est classée « station balnéaire et touristique » depuis 2009, depuis 1986, l’Etat a reconnu notre identité culturelle et patrimoniale en classant notre quartier balnéaire en « secteur sauvegardé ». Il est encore aujourd’hui le seul du littoral Français à témoigner des audaces des architectes de la belle époque.
Forte de ces classements, Mers les bains s’est engagé dans une politique de développement qui repose sur la structuration de son économie touristique.
Indiscutablement le projet d’implantation de cette zone de production d’énergie par la construction de 62 hélices de plus de 210 mètres de hauteur d’une puissance unitaire de 8 MW à 15 kms de notre front de mer casserait cette dynamique.
Les propos tenus par certains laissant penser que les touristes viendraient massivement admirer ces machines à vent reposent sur le peu de considération que ces personnes ont de nos visiteurs. Le département de la Somme est le premier département de France quant au nombre d’éoliennes implantées ; nos paysages de la plaine Picarde ont été défigurés par ces installations, je laisse à ceux qui le souhaitent le soin d’aller les « admirer », qu’ils n’hésitent surtout pas à le faire et notamment la nuit lorsque ces machines clignotent et transforment nos paysages en fête foraine permanente.
Depuis près de 30 ans, les différentes municipalités de Mers et les architectes des bâtiments de France sensibilisent les propriétaires du quartier balnéaire de Mers à la restauration de leurs villas. Nous sommes conscients du niveau d’exigence que nous demandons aux propriétaires, nous œuvrons aux côtés des services de l’Etat sans relâche pour transmettre ce patrimoine aux prochaines générations. Ce quartier constitue l’identité de Mers, il est dans notre ADN.
Mesdames et Messieurs, comment imaginer la compatibilité entre cette exigence de qualité dans la rénovation ici à Mers des architectures de la belle époque et le projet industriel que nous propose Engie devant nos villas classés ?
Nos sites touristiques de Mers et du Tréport sont attractifs parce qu’ils sont animés. L’activité essentielle de notre littoral, c’est la pêche. Comment ne pas entendre nos marins pêcheurs et leurs cris de colère. Déjà confrontés depuis des années à des difficultés économiques importantes, ils devraient aujourd’hui se résoudre et accepter une implantation industrielle au cœur du périmètre qui les fait vivre. La flotte de pêche du port du Tréport doit vivre ; elle fait partie de la culture de ce territoire et avec l’ensemble des acteurs nous la défendons et surtout nous respectons les marins pêcheurs. Les élus Mersois réaffirment leur soutien et assurent de leur solidarité aux 240 marins pêcheurs du Tréport ainsi qu’à leur famille mais aussi à l’ensemble des salariés concernés par cette activité.
Depuis des générations ces gens se battent pour l’amour de leur métier, souvent au péril de leurs vies, ne les abandonnons pas !
Mais votre projet nous posent aussi beaucoup d’autres problèmes ; je rappelle que la position de la ville de Mers il y 5 ans était déjà défavorable et renvoyait à la création du parc naturel marin. Cette instance de gouvernance en mer donnera un avis sur le projet ; cette position sera de première importance puisque il conditionnera la réalisation ou non du parc. Au moment où nous débattons du projet, nous aurions apprécié d’avoir communication de l’étude d’impact et par voie de conséquence de l’avis de l’instance de gestion du parc marin.
Comment pouvons-nous légitimement émettre un avis sur l’implantation d’un tel projet sans en connaître l’impact sur le milieu naturel. Comment ces éoliennes seront-elles implantées ? Quelle technique de fondation sera utilisée ? Toutes ces questions restent ce soir, Mesdames et Messieurs, sans réponses. Je trouve cette procédure particulièrement scandaleuse. Elle témoigne d’un manque de considération pour l’assemblée que nous formons ce soir et sera aussi de nature à motiver notre position.
Il y a encore bon nombre d’incertitudes qui ne sont pas levées au moment où vous nous demandez notre avis, je veux encore citer l’impact sur les radars qui surveillent la centrale de Penly. Le champ électromagnétique serait de nature à perturber leur fonctionnement. Qu’en est-il réellement, sur ce point encore, il faut attendre l’étude d’impact et la levée des risques ?
Au cours du premier débat, aucune réponse ne fût apportée sur les conséquences d’une avarie de moteur d’un pétrolier dans le rail de navigation qui concentre une partie importante du trafic maritime mondial.
Mesdames et Messieurs les représentants d’Engie, le consortium qui porte le projet, c’est donc un refus catégorique de la collectivité Mersoise que je viens vous confirmer ce soir.
J’exerce aussi des responsabilités départementales et c’est à ce titre que j’ai défendu un vœu lors de la dernière session publique du conseil départemental. Ce vœu reprenait les arguments que je viens de développer devant vous ce soir. Au-delà des groupes de la majorité départementale « des Républicains » et « des Centristes », la discussion a permis au groupe « du parti communiste Français » et du « Front de gauche, gauche solidaire et communiste » d’exprimer leur opposition absolue à ce projet, seuls les élus socialistes et écologistes ont réaffirmé leur soutien au projet.
Le département de la Somme a donc, Mesdames et Messieurs, une position très claire et s’oppose dans ces conditions au projet d’implantation d’éoliennes au large de nos côtes.
Enfin, je suis depuis début Mai président du « syndicat mixte Baie de Somme – Grand littoral Picard » ; A ce titre j’ai souhaité saisir mes 17 autres collègues Maire du littoral Picard de cette question. Le 09 juillet dernier réuni en comité syndical à Fort-Mahon, les 18 élus représentant des communes ainsi que les 12 conseillers départementaux de la Somme ont exprimé à l’unanimité leur opposition à votre projet.
Je veux rappeler que notre syndicat mixte à obtenu en 2011 la reconnaissance « Grand site de France » pour les 25 communes qui structurent la baie de Somme. Il n’y a, Mesdames et Messieurs, aucun « grand site de France » à l’intérieur duquel des éoliennes sont implantées.
Permettre la réalisation de ce projet serait assurément de nature à compromettre le renouvellement du label dans les prochaines années ; rappelons-nous des projets autour du Mont Saint Michel et des conséquences sur son inscription à l’UNESCO.
C’est donc ce soir pour moi l’occasion de vous dire 3 fois NON ; Non au nom de la ville de Mers, Non au nom du département de la Somme et NON au nom des 18 communes qui forment le syndicat « baie de Somme ».
J’entends régulièrement des voix s’exprimer sur l’acceptabilité du projet au regard des avantages qu’il génèrerait. La question est de savoir lesquelles ? On nous dit que les communes récupèreront une manne financière ? autrement dit tout s’achète. Et bien non, nous n’avons pas le droit de sacrifier ce que nous avons de plus précieux : le milieu naturel, nos paysages, l’écosystème. La génération future nous le reprocherait. Quant à la prétendue transition énergétique que le projet permettrait d’amorcer, je crains fort qu’il ne soit intéressant que pour les actionnaires qui désirent obtenir une rentabilité à 2 chiffres de leur investissement.
Mesdames et Messieurs les représentants d’Engie, vous allez nous répondre ce soir que c’est l’Etat qui a défini la zone et qui vous a lancé un appel à projet. Nous le savons, nous savons aussi qu’une autre zone permettrait de réaliser votre projet sans impacter négativement notre économie locale. Alors, ce soir, affirmons tous ensemble qu’il n’est pas possible, dans les conditions actuelles de passer en force et de ne pas entendre la voix du peuple qui refuse ce projet. Affirmons que la démocratie participative à laquelle ce gouvernement fait souvent référence n’est pas un gadget ou encore un stratagème pour endormir le débat. Ce soir le peuple de Mers, du Tréport, du département de la Somme, les marins pécheurs du Tréport, et l’ensemble des élus locaux disent NON à votre projet.
Si le débat public est utile c’est pour entendre ce qu’en pense le public, si le débat public concerne le littoral c’est pour entendre les acteurs du littoral, si nous sommes réunis une dernière fois à Mers au cœur du quartier classé c’est pour entendre les habitants du quartier classé. Rien dans ce projet n’est favorable à notre territoire. J’ai souhaité vous projeter des photos du parc environnemental de la Bresle Maritime ; ce parc est conçu pour recevoir des entreprises dédiées aux énergies propres et renouvelables. Le consortium Engie a fait le choix de ne rien implanter chez nous, aucune entreprise donc aucun emploi, nous n’aurions que les nuisances et d’autres toucheraient les bénéfices.
Ce soir, nous devons, Mesdames et Messieurs, rappeler que notre territoire est fier de son histoire et déterminé à préparer son avenir. Sur cette terre de résistance nous savons mener le combat, notre avenir ne se construira jamais par la résignation, alors ce soir, je réaffirme au nom des collectivités qui m’ont donné mandat notre ferme intention de combattre ce projet voulu par l’Etat, nous ne cèderons pas, et si d’aventure le peuple n’était pas entendu alors le peuple devra se faire entendre.
Merci à tous de votre attention.