Une jeune personne soucieuse d’écologie nous ayant interrogé sur les raisons pour lesquelles nous, associations environnementales des Côtes de Penthièvre et d’Emeraude, étions opposées au projet éolien en baie de Saint-Brieuc. Cette question nous est souvent posée et nous avions déjà écrit sur ce site en novembre 2019 un article à ce sujet : http://www.frehelenvironnement.fr/le-projet-eolien-en-baie-de-st-brieuc-les-raisons-de-notre-opposition/#more-1817 .
Nous avons néanmoins souhaité une nouvelle fois répondre à cette interrogation, voici donc « La Lettre à Margaux » :
Tout d’abord, nous vous remercions pour votre lettre, car il est toujours important de se poser la question de savoir ce qui motive nos actions
L’humanité est de plus en plus nombreuse. L’énergie lui est indispensable. Par l’irrigation et le transport des marchandises, elle permet d’éviter les famines. Par la souveraineté que chaque pays a sur ses ressources énergétiques, elle évite les guerres. Par la capacité de développement de l’industrie, elle atténue la peine des hommes et participe à leur bien-être. Apprendre à en consommer moins est bien, à en consommer le moins possible est mieux et surtout nécessaire pour notre survie. Essayer d’apprendre à s’en passer est idiot car cela mène à la décroissance, et les premiers touchés seront ceux qui en ont le plus besoin pour avoir une chance de se développer.
Devant l’énorme besoin d’énergie de l’humanité, tous les pays se sont interrogés sur la politique énergétique qui leur convenait le mieux, généralement pas avec pour but le plus grand bien de l’humanité mais selon des critères qui leur paraissaient les plus pertinents pour leurs besoins propres.
Les critères sont pluriels et forcément complexes. Il faut viser le techniquement accessible, le plus possible avec les compétences locales, économiquement viable, apte à maintenir la souveraineté du pays (les chocs pétroliers ont considérablement affecté la vie de tous les jours des pays occidentaux et cela a fait la preuve qu’on ne pouvait pas faire une politique étrangère efficace avec un fournisseur incontournable, car le chantage n’est jamais loin, et la situation sanitaire actuelle n’a fait que mettre en lumière à quel point nous sommes devenus fragiles car interdépendants).
Du point de vue technique, la palette des ressources énergétiques est assez vaste, et chaque technologie candidate doit être passée, pays par pays, au travers du filtre des caractéristiques que nous venons d’évoquer.
Un critère supplémentaire, d’une importance majeure, a fait son apparition dans les dernières années : ce qu’il est convenu d’appeler le respect de la planète. Puisque vous nous semblez être une écologiste convaincue, la phrase ci-dessus n’a pu que vous interpeller. En réalité, il s’agit avant tout du respect de l’humanité. Si nous continuons à consommer plus de ressources chaque année que la planète ne peut en produire, elle finira par s’appauvrir à un point tel qu’elle ne pourra plus nous fournir ce dont nous avons besoin pour survivre. Si l’humanité disparaît, rassurez vous, la planète n’est pas en danger et elle continuera sur sa lancée, mais sans nous, pendant les quelques 4 milliards d’années qui lui restent à exister avant que notre soleil ne devienne une géante rouge et la dévore.
A côté de la liberté dont chaque pays estime qu’il doit pouvoir jouir, il est donc apparu que certaines règles devaient être respectées au niveau planétaire, faute de quoi des risques considérables pourraient émerger (notamment le réchauffement climatique et son cortège de catastrophes dont nos enfants seront les premières victimes…), mais encore une fois, c’est nous, en tant qu’êtres humains, que nous devons protéger car c’est nous qui sommes à risque.
Pour une fois, ce problème a été traité au niveau international. A Paris, en 2015, la COP21, grâce à un travail titanesque, a réussi à synthétiser l’infinie complexité du problème en un seul paramètre, intelligible pour tous: l’émission de carbone. C’est donc un critère qui ne vient pas seulement s’ajouter aux précédents, mais qui doit devenir prééminent et qui doit être examiné et recevoir une réponse avant toute décision politique.
La question que vous nous posez est de positionner l’éolien dans la matrice de ces critères.
Soyons clairs, le résultat n’est pas brillant.
Du point de vue technique, c’est une absurdité, du point de vue économique, c’est très cher, du point de vue de la souveraineté, c’est défavorable, et du point de vue de l’empreinte carbone, ça ne fait que dégrader celle de la France, contrairement à notre engagement de la COP21, signée à Paris, ce dont nous étions si fiers.
Tout d’abord, du point de vue technique.
Premier point fondamental : Toutes les énergies sont des renouvelables ! Le seul problème, c’est que nous les consommons plus vite qu’elles ne se renouvellent.
Elles sont toutes « gratuites », que ce soit le vent, l’eau, le pétrole, le charbon, etc.. Ce qui coûte cher c’est de les rechercher, de les extraire, de les exploiter. Elles sont toutes plus ou moins polluantes à un stade ou à un autre de leur utilisation, parfois sur des durées plus ou moins longues ou d’une façon plus ou moins sournoise. Elles sont surtout toutes plus ou moins responsables d’une forme de pollution de plus en plus redoutée, les émissions de gaz à effet de serre.
Celle qui nous occupe ici est l’énergie électrique, une des plus efficaces, des plus souples qui soit mais, mais, mais celle que personne ne sait stocker.
On sait que l’énergie électrique ne se stocke pas, malgré une recherche scientifique (et économique tout autant que politique) tournée depuis longtemps vers la résolution de ce problème fondamental. Imaginez comment serait le monde si nous pouvions nous passer de toutes les énergies fossiles quelle que soit leur origine. La planète fournit beaucoup plus d’énergie que ce dont nous avons besoin. La possibilité de capturer et de stocker l’énergie contenue dans un seul nuage d’orage (un cumulonimbus) permettrait à elle seule de chauffer et d’éclairer une ville comme Grenoble pendant plus d’un an !
Hélas, la production éolienne est, par essence, intermittente et imprévisible. Le rendement, défini comme la puissance fournie divisée par la puissance installée est de l’ordre de 30% (en étant généreux). Pas de vent, pas de courant, trop de vent, pas de courant. Le vent ne prévient jamais. On peut avoir une idée de la météo probable à 48h mais pas décider de la date ni de l’heure à laquelle le vent doit souffler. Or le réseau électrique ne peut pas supporter de telles fluctuations pour deux raisons. La première c’est qu’il ne peut pas arrêter brutalement de fournir de l’énergie sans générer d’énormes surcharges en de nombreux endroits, ce qui le détruit physiquement. La seconde c’est que l’utilisateur, vous, nous, l’hôpital, l’industrie, les transports ne peuvent pas, sans prendre de risques souvent mortels, ne plus être alimentés en permanence. Une telle panne généralisée, appelée « black-out » met un pays à genoux avec le risque de ne pas pouvoir repartir avant plusieurs jours, parfois plus longtemps.
Cette occurrence a déjà été vécue plusieurs fois par un état grand comme la France mais avec 2,5 millions d’habitants seulement, l’Australie Du Sud, géré par un gouvernement d’orientation écologique mais qui a tout misé sur les renouvelables et qui n’a pas eu ensuite d’autre choix que de construire des centrales à gaz en urgence pour que les hôpitaux d’Adélaïde puissent retravailler (Un groupe électrogène de secours ne peut assurer le secours que pendant un temps limité).
Il faut donc installer, en parallèle avec un champ éolien, comme avec tout moyen de production d’énergie non continue et surtout non pilotable en permanence (solaire, hydraulique, etc..) une source d’énergie qui soit capable, très rapidement d’assurer la continuité. C’est le cas pour le parc éolien de ST Brieuc, pour lequel la centrale à gaz de Landivisiau est en construction. Nous disions plus haut que le rendement théorique de 30% était généreux. La preuve en est que les ingénieurs qui ont dimensionné l’ensemble ont choisi d’installer une centrale à gaz de 450 MW, alors que le champ éolien fait lui-même 500 MW.
D’un strict point de vue énergétique, sans porter aucun jugement sur la technologie utilisée, il est fondamental de prendre conscience des chiffres dont on parle et que l’arrêt d’une tranche nucléaire, celle de Fessenheim par exemple, supprime l’accès à plus de quantité d’énergie produite que l’ensemble de la fourniture annuelle de la totalité des parcs éoliens et solaires installés en France.
Vous avez, comme tout le monde, directement accès aux chiffres, si vous allez consulter le rapport annuel de RTE (c’est votre fournisseur de transport d’énergie toutes sources confondues). Il vous indiquera que la puissance « renouvelable » installée en France est supérieure à 28051 MW soit 20,7% de la puissance totale installée toutes sources confondues et déjà 44% de la puissance installée du nucléaire. Mais il vous indiquera aussi que la production totale des renouvelables n’est que de 14,7% de celle du nucléaire, alors que les investissements sont gigantesques, et qu’il faut y ajouter le fait que la dissémination géographique des renouvelables (éolien et photovoltaïque) implique de construire de très nombreuses lignes supplémentaires à Haute tension partout en France. Tous ces points sont factuels et vérifiables et n’impliquent aucunement de notre part une quelconque adhésion au programme nucléaire qui présente d’autres dangers mais grâce à qui la production d’énergie française est quasiment totalement décarbonée.
Du point de vue financier, disons simplement que le prix moyen du MWh en France est d’une quarantaine d’euro (exactement 39,45 €/Mwh en 2019) . Le parc éolien de ST Brieuc, contre lequel nous nous battons depuis de nombreuses années est à l’origine d’un contrat de rachat prioritaire et obligatoire de son électricité produite (quand il y a du vent, et pas quand on en a besoin !) au prix de 155€ par Mwh et ce pendant 40 ans. La différence est à la charge du consommateur et est à l’origine (avec d’autres modes de production, éolien terrestre, solaire, etc…) des hausses de tarif prévues pour les 5 et 10 ans à venir (voir en exemple les prix de l’énergie en Allemagne où le tarif consommateur est quasiment double du notre alors que seuls 20% des capacités nucléaires ont été mises en stand-by). Il est d’ailleurs intéressant de noter que les commandes éoliennes en Allemagne sont en baisse de plus de 80% depuis l’été 2019, du fait du gouffre financier de l’éolien, et de la non acceptabilité par la population de la construction de nouvelles lignes à HT (la production éolienne est au Nord et la consommation au Sud!). C’est d’ailleurs probablement l’une des raisons du forcing pour installer toujours plus d’éolien en France alors que d’autres pays commencent à y renoncer (Allemagne, Autriche, Pologne, etc) car il faut faire tourner les usines…
Du point de vue de la souveraineté, nous sommes complètement dépendants de la livraison de gaz, sans lequel, le parc éolien devrait être mis à l’arrêt. Nous le sommes également du fait que quasiment toutes les éoliennes sont produites en Allemagne, et les panneaux photovoltaïques en Chine et que pratiquement la totalité des opérateurs éoliens sont des filiales financières de sociétés bancaires ou boursières internationales.
Enfin du point de vue de l’empreinte carbone, eh bien, contrairement à nos engagements de la COP 21, nous allons continuer à la dégrader.
On peut ajouter que la dégradation des paysages (sans compter le bruit) est lamentable et terriblement invasive. Réfléchissez un instant à la dernière fois où vous avez vu une éolienne…et à la dernière fois où vous avez vu une centrale hydraulique ou nucléaire (peut-être n’en avez-vous jamais vu), et vous prendrez conscience du caractère invasif de ce type de production.
C’est pour toutes ces raisons que nous n’aimons pas la filière éolienne en général, mais, comme on a dû vous le préciser, ce n’est pas l’objet principal de nos associations. Nous sommes attachés à la défense de l’environnement, tant paysager (un ensemble de 62 mâts de 200 m de hauteur, visibles de jour comme de nuit peut être considéré comme une atteinte grave et définitive au paysage de la baie de St Brieuc) qu’humain (ce parc est prévu pour être installé sur une ressource très importante pour la région, la coquille St Jacques, mais aussi d’autres poissons nobles tels sole, bar, lieu jaune, barbue, etc…, et comme ce qui se passe pour tous les parcs maritimes de ce type, cela supprimera toute possibilité de pêche locale pour de très longues années).
Particulièrement sur le plan environnemental, la baie de Saint-Brieuc est classée « espace remarquable » doté de programmes de préservation des fonds marins, de la ressource halieutique et des oiseaux. Ainsi le Groupe d’Etudes Ornithologique des Côtes d’Armor s’est positionné contre ce projet sur le secteur défini de la baie de Saint-Brieuc, en raison de la perturbation irrémédiable du passage et du stationnement des oiseaux, des répercussions sur les sites protégés de la baie, des zones de protection spéciales Oiseaux et Habitats de la zone Natura 2000, du classement en « réserve naturelle nationale ».
Si vous désirez creuser un peu plus la question et vous documenter nous ne pouvons que vous recommander la lecture attentive du rapport annuel 2019 de RTE à l’adresse suivante : « https://bilan-electrique-2019.rte-france.com/# »
C’est quelque peu rébarbatif mais plein d’enseignements.
Vous pourriez également vous reporter au livre de G. PITRON « La Guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique » éditions LLL, ainsi qu’à celui de F. BOUGLE « Eoliennes, la face noire de la transition écologique » éditions du Rocher. Le premier met bien en lumière le véritable coût environnemental d’une dépendance silencieuse, porteuse de futurs inquiétants et le second s’attache au désastre environnemental, aux détournements de fonds publics et aux conflits d’intérêts financiers cachés, générés par l’industrie du vent.
Nous vous disions, en préambule, qu’il était toujours important de se poser la question des raisons de nos choix. Nous vous suggérons de réfléchir, concernant les éoliennes, aux raisons qui vous font les aimer tant.
En espérant vous avoir apporté quelques éléments de réponse utiles à votre réflexion, nous restons naturellement à votre disposition si cette lecture venait à soulever d’autres questions.
NB Si vous voulez avoir une idée plus précise et en temps réel de la consommation et de la production d’énergie en Europe (et un peu plus loin également, Amérique Nord et Sud, Inde, Corée sud, Australie entre autres), nous vous recommandons de télécharger sur votre smartphone l’application ElectricityMap. Elle vous donnera à tout moment l’état de la production et de la consommation d’énergie électrique ainsi que les volumes d’échanges entre pays. Elle donne aussi l’intensité carbone des émissions pour chaque pays et montre que la France, la Suède, l’Autriche et l’Islande sont des pays particulièrement « verts » au niveau de l’énergie et qu’ils ne sont pas nombreux à ce niveau dans le monde. Bonne lecture et bonne découverte.
Le 23 mai 2020.
Cette lettre est l’œuvre collective des associations environnementales des Côtes de Penthièvre et d’Emeraude composant l’UPEEL.