Paris climat 2015 : ma Cop21 à moi est métallique !

Les Echos, 6 octobre 2015
DIDIER JULIENNE / STRATÈGE DES RESSOURCES NATURELLES | LE 06/10 À 20:52

La transition énergétique n’évitera pas le réchauffement climatique si les métaux nécessaires à cette énergie climatique ne sont pas extraits par une énergie climatique…que nous n’avons pas.

Réduire la dépendance mondiale aux hydrocarbures augmente la dépendance aux ressources minérales.

Longuement ignorée ou bien sous-estimée, la projection d’une production électrique solaire et éolienne mondialisée, massive, à haute rentabilité mais décentralisée a été peu étudié sous l’angle des métaux nécessaire à sa construction. Pourtant, la production, le stockage, la distribution d’une électricité reposant sur le soleil et le vent mais également les nouvelles consommations industrielles et domestiques comme le transport par exemple, nécessiteront de nouvelles infrastructures de production, de stockage, d’acheminement et de consommation fortement consommatrices de cuivre, d’aluminium, de nickel, mais également d’acier, de béton, de sable et de métaux critiques.
L’absence de planification de cette production minière au niveau mondial handicapera les objectifs de la transition énergétique (TE). Des études récentes, notamment celles impliquant les chercheurs du CNRS et Universitaires français, publiées par l’Alliance Nationale de Coordination de la Recherche pour l’Energie et dans Nature Geoscience indiquent que pour une même énergie produite, les éoliennes et centrales solaires nécessitent jusqu’à 15 fois plus de béton, 90 fois plus d’aluminium et 50 fois plus de cuivre et de fer que les centrales de production utilisant des combustibles traditionnels.

Les futures éoliennes terrestres de 6 MW hautes de 170 mètres consommeront environ 1500 tonnes d’acier, 250T d’acier/MW soit 70% fois plus que les technologies des années 1990.

Les prochaines éoliennes off-shore de 3.6 à 10 MW dominant la mer de 120 mètres déplaceront 6000 tonnes et nécessiteront pour chaque éolienne entre 1200 et 1800 tonnes d’acier, 350T à 500T/MW soit 130% à 380% fois plus que les consommations actuelles.

800 éoliennes de 6MW, soit 1.2 millions de tonnes d’acier sont nécessaire pour produire la même énergie qu’une centrale nucléaire de 1300MW contenant entre 3 et 8 fois moins d’acier et ayant une durée de vie 4 fois supérieure. Si cela ne suffisait pas, chaque éolienne consommera 20 tonnes de cuivre et plusieurs kilomètres de câbles sous-marins en cuivre pour se lier les unes aux autres et au continent (par exemple la ligne de 225 000 volts reliant les futures éoliennes de la baie de Saint Brieuc à la plage de Caroual d’Erquy). Puis une ligne Ultra Haute Tension en aluminium et acier sera à construire pour relier le réseau ; actuellement, 45 000 km de nouvelles lignes haute tension sont envisagés en Europe , soit plus que la circonférence terrestre. Les mêmes observations tiennent pour les fermes solaires, qui dans l’idéal devraient être implantées dans des zones ensoleillées, arides, peu peuplées nécessitant un acheminement par câbles terrestres et sousmarins vers les zones urbanisées. Dans le cas du Sahara, la situation actuelle ne porte pas cette vision.
Une substitution de certaines matières entre elles est certes envisageable. Par exemple en consommant moins de matières critiques et plus de matières de base (moins de terres rares mais plus de fer dans l’éolien,…) ou bien des matières premières moins pures (de la silice moins pure dans le solaire,…). Mais ces substitutions réduisent l’efficacité des systèmes et entraînent l a production d’une électricité de moindre qualité: moindre quantité, plus d’entretien des matériels, plus chère. En outre, il est illusoire de compter sur le recyclage. La durée de vie de ces infrastructures est de trente ans, période pendant laquelle l’offre de métaux sera assurée par la production minière car en période de croissance de la demande, le recyclage est structurellement insuffisant et cette filière n’est pas mature en Europe, les déchets européens sont largement exportés, notamment vers la Chine.

Plus le ruban électrique sera assuré par l’énergie climatique plus la facture d’électricité augmentera pour le consommateur. Nous en avons les prémices dans l’exemple allemand. L’énergie climatique ne produit pas encore 100% de l’électricité puisqu’elle est soutenue par le charbon, les emplois « verts » sont adossés aux emplois « noirs » du lignite; cependant la facture électrique pour le consommateur allemand est déjà deux fois plus élevée qu’en France, en heures pleines. Ce n’est sans doute qu’un début car dès que l’impact de la production d’électricité « verte » sur les prix des métaux sera intégré par les marchés, les prix des ressources naturelles concernées s’emballeront pour accroitre encore le coût au consommateur.

En outre, si les cataclysmes météorologiques se multiplient au fur et à mesure que climat change, nos modèles énergétiques verront-ils leurs coûts exploser si des accidents climatiques imposent des matériels plus robustes ou bien à ne déployer que dans des zones à l’abri des perturbations climatiques ? Mais où situer ces régions abritées dans par exemple 30 ans pour les éoliennes off shore, alors que nos historiques météorologiques seront devenus obsolètes au fur et à mesure que le climat changera ?

Ces quelques remarques ouvrent trois enjeux. Premièrement, les scenarii de TE existants, tel Energy Report du WWF, nécessiterait l’équivalent d’environ 4 années de production d’acier mondiale, 6 années de production d’aluminium, 3.5 années de production de cuivre, plus les matières premières critiques et stratégiques (terres rares, platinoïdes et autres métaux précieux,…). Dans l’absolu, ces périodes verraient moins de maisons construites, moins de récoltes agricoles et aucune production de voiture électrique, aucun produit électronique, aucun avion …, etc. Heureusement le scénario s’étale sur 50 ans, mais il n’empêche que non seulement nous n’avons pas aujourd’hui les ressources minérales nécessaires à cette nouvelle demande de l’ « énergie climatique » mais en outre les matières considérées abondantes deviendront critiques, le sable par exemple. Ajoutons que cette consommation s’additionnera à celles déjà existantes et à celles des pays émergents (Inde, Afrique, Asie du sudest), c’est-à-dire un doublement de la demande chaque 20 à 30 ans. Les mines actuelles ne produiront pas assez, de nouveaux gisements devront être rapidement recherchés, et, si et seulement si nous sommes chanceux, ils seront trouvés. Ces explorations auront lieu loin de chez nous mais également ici en Europe et donc en France.

L’Europe produit moins de 5% de l’offre mondiale de métaux alors qu’elle en consomme 20%, elle est à 100% dépendante de l’importation pour les métaux des énergies climatiques.                 Une question : sommes-nous prêts à cette exploration minière française alors que lorsqu’un étudiant géologue parcours pour sa thèse les Pyrénées au mois de septembre 2015, les quatre pneus de sa voiture sont crevés nuitamment par des êtres que ses études dérangent? Deuxièmement, les gisements les plus riches et accessibles avec les technologies actuelles ont déjà été découverts. Il nous faut nous préparer à exploiter de futurs gisements moins rentables, plus profonds, moins accessibles et accepter une surconsommation d’énergie carbonée et donc un surcroit de réchauffement climatique.

Ces conséquences et les impacts économiques, sociaux, mais également environnementaux et climatiques de la mise en œuvre de la TE ont-t-ils été mesurés alors que la même doxa qui porte les énergies renouvelables exige l’arrêt de l’industrie extractive –métaux et énergie fossile- et l’interdiction de son redémarrage, notamment en France ? Troisièmement, les efforts des pays développés seront marginalisés si l’électrification du milliard d’africains, (demain 2 milliards ou plus), ne devient pas une cause internationale. L’hydroélectricité africaine connait des pannes chroniques par manque d’eau ou plus couramment à cause d’une déficience de l’entretien des installations. Les utilisations du bois, du charbon et du diesel continueront d’y détériorer le climat tant que le continent ne produira pas ses propres métaux avec sa propre énergie pour ses propres énergies « vertes ».

Si la cible de la TE est identifiée, la voie pour l’atteindre n’est pas tracée : les besoins de l’électricité verte en métaux de base et métaux critiques sont calculés mais la réponse minière n’est pas formulée. En un mot, comment la TE peut-elle se mettre en œuvre sans altérer les ressources métalliques de la planète ni accroitre le réchauffement climatique ? Est-il occulté que les immenses quantités de matières critiques et de matériaux de base nécessaires à la TE, que nous n’avons pas, ne seront pas produites avec l’énergie climatique que nous n’avons pas encore ? Comment résoudre le problème ? N’existe-t-il une solution politiquement incorrecte pour sortir de ce labyrinthe mortifère? N’avons-nous pas en effet déjà en France un stock gratuit d’énergie inoffensif pour le réchauffement climatique et égal à 20 000 années de notre besoin électrique actuel ? Ne pouvons-nous pas partager ces 20 000 années avec le reste du monde ? Ce carburant n’est-il pas déjà disponible pour se transformer en énergie climatique via la production de matières minérales puisqu’il est situé au-dessus du sol, dans la presqu’île du Cotentin ? L’économie circulaire de ce combustible, le carburant nucléaire usagé, ne permettrait-il pas de le bruler définitivement et n’est ce pas le moyen d’éliminer des mines de charbon, des champs de pétrole, des mines d’uranium… ? Ce recyclage définitif en faveur des énergies climatiques, de l’hydrogène, duLENRG et de la fusion d’Iter n’est-il pas bon pour la planète ?
La Cop21 c’est également cela : que l’objet observé soit déchiffré indépendamment du sujet qui l’observe ! @didierjulienne