REFONTE DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE

A l’heure des débats sur la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) à Bruxelles et de l’élaboration de sa déclinaison nationale (le Plan Stratégique National), les propositions qu’André Pochon a élaborées pour la commission mise en place au niveau national nous paraissent devoir être connues. AP indique les moyens concrets d’assurer la transition de l’agriculture vers un modèle plus autonome, plus économe et plus durable. C’est, en somme, le modèle de l’agro-écologie que le Ministre Stéphane Le Foll avait essayé, comme André Pochon, de promouvoir.

Les propositions de celui-ci ont été endossées par une association environnementale départementale, Vivarmor Nature (dont André Pochon est l’expert et le porte-parole agricole) et déposée par cette association auprès de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), qui reçoit les contributions à la consultation publique « imPACtons ». On peut ainsi consulter en ligne les trois pages de deux « cahiers d’acteurs » actuellement déposés: celui de la FNSEA et celui de Vivarmor.

Il est édifiant de comparer les deux.

La FNSEA développe la logique de la compétitivité financière (ce qu’on appelle l’agriculture « productiviste » en Bretagne) en insistant sur les risques de la transition pour la compétitivité de l’agriculture française.
Le « cahier d’acteur » de Vivarmor, dans lequel on reconnaît les idées d’André Pochon, propose la démarche inverse, partant du principe que la transition agro-écologique est le gage d’une activité (donc d’une compétitivité) agricole durable.

Ayant proclamé haut et fort leurs préoccupations environnementales, le gouvernement français et les responsables de l’Union européenne sont appelés à choisir le moyen d’y répondre. Le choix qui s’impose n’est pas aisément conciliable avec quelques intérêts en jeu.

M. Pochon a transmis ses propositions au Président de la Région Bretagne, aux Ministres de l’Agriculture et de l’Environnement, ainsi qu’à la direction générale de l’Institut National de la Recherche sur l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE), mais aussi aux président, vice-président et membres de la commission sur l’agriculture du Parlement Européen.
De même qu’il les a adressées à certains personnalités belges et, dès que leur traduction en langue allemande sera disponible, les enverra aux pays germanophones et responsables dédiés en Allemagne.

Cette refonte arrive à un moment particulièrement difficile mais qui facilitera peut-être le courage politique nécessaire.

Voici ce texte :

« André Pochon, Trégueux, le 31 mars 2020

Propositions pour la réforme de la Politique agricole commune

La réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) doit être décisive pour : 

o sauvegarder notre environnement et la biodiversité,
o produire une alimentation saine et de qualité,
o revitaliser les campagnes par l’installation d’agriculteurs nombreux,
o lutter contre le réchauffement climatique,
o tout en préservant durablement la source du revenu des agriculteurs.

La réforme doit être d’autant plus décisive que la crise du coronavirus rappelle qu’à ne pas anticiper des risques manifestes, on s’expose à des difficultés potentiellement catastrophiques. Or, en matière de transition écologique, les récentes réformes de la PAC se sont avérées encore et encore trop timorées.
Pour atteindre les objectifs qu’on s’assigne, il importe d’intégrer préalablement le contexte historique de la PAC.

Contexte historique
Au départ, la PAC de 1962 reposait sur une politique de prix garantis fixés chaque année à Bruxelles. Ces prix garantis étaient assurés par une taxe sur les produits agricoles entrant en Europe de telle sorte qu’ils étaient amenés au niveau de celui des prix garantis européens.
Malheureusement – et ce fut une grave erreur initiale – sous la pression des lobbies agro-alimentaires, le soja fut exclu de la taxe. Importé à des prix très bas, le soja provoqua l’effondrement des cultures riches en protéines en Europe : soja, pois, féverole …, et par conséquent notre dépendance totale vis-à-vis de l’Amérique pour l’alimentation en protéines de nos animaux. Mais, plus grave encore, ce soja importé à bas prix fut la cause de l’explosion de l’élevage industriel « hors-sol » de porcs et de volailles, ainsi que de la culture de maïs-fourrage pour l’alimentation des bovins. Nos belles prairies furent labourées ! Ce fut un bouleversement complet qui provoqua le déséquilibre de nos systèmes de production.
L’excédent de viande et de produits laitiers suite à l’importation massive de soja devint inévitable ; ces excédents, exportés après stockage vers les pays en développement, contrecarrèrent l’élevage des animaux dans ces pays, contribuant à la migration des paysans vers les villes et bientôt vers l’Europe. Pour couronner le tout, cette politique coûtait cher. Le budget européen explosa. Première crise.
Une réforme radicale de la PAC eut lieu en 1992. Les prix garantis furent remplacés par des primes à l’hectare et aux bovins/ovins, pour compenser la baisse des prix (ces primes constituent aujourd’hui le « premier pilier » de la PAC). Le revenu des agriculteurs se maintint et les consommateurs bénéficièrent d’une alimentation meilleur marché. Un « deuxième pilier » fut introduit pour encourager des pratiques agro-environnementales optionnelles.
Les primes versées directement à chaque agriculteur (« premier pilier ») eussent pu constituer l’instrument de réorientation de notre modèle de développement. Pour cela, il eût fallu que les surfaces bénéficiant de primes soient limitées par exploitation, et soumises de surcroît à des conditions de bonnes pratiques agricoles (l’agro-écologie). Il n’en fut rien. Les primes distribuées sans limite incitèrent les exploitations à s’agrandir. Accordées sans conditions environnementales, elles rendirent la pollution de l’eau, de l’air, de notre alimentation inévitable tandis que l’excédent d’une production non limitée fit baisser les cours et les revenus. Seconde crise.
En 2005, des paiements verts relevant du premier pilier furent accordés en supplément moyennant trois conditions : 5% de surface d’intérêt écologique ; diversité des cultures ; maintien des prairies permanentes. Cependant, cette conditionnalité environnementale est loin d’être suffisante.
Désormais, il faut que la prime PAC ne soit plus seulement comme en 1992 une prime compensatrice à la baisse des prix mais un moyen d’inciter les agriculteurs à réorienter leurs exploitations tout en freinant les agrandissements.
• La prime encouragera en outre la préservation ou la création de surfaces d’intérêt écologique afin de promouvoir la biodiversité et participer à la lutte contre le réchauffement climatique.
• Dans les régions sensibles comme le littoral breton, pour rester au plus près des effets notamment sur l’état des rivières et des nappes, et permettre leur évaluation directe, il conviendra de confier la gestion des mesures agri-environnementales à l’échelon régional.
Insistons sur le fait que les propositions qui suivent ne comportent pas d’interdiction, seulement des incitations, étant entendu que l’argent public (la prime PAC) ne saurait contribuer à autre chose qu’aux objectifs de la politique publique. Ces objectifs correspondent à l’avènement désormais urgent de l’agro-écologie qui, loin d’être un modèle extensif, permet de produire beaucoup au moindre coût.
Voici donc quelques propositions pour éviter une troisième crise et montrer la capacité de l’Europe à résoudre ses dilemmes.

Huit propositions pour le premier pilier de la PAC, cinq pour le deuxième

Premier pilier
1. La prime à la surface sera identique pour toutes les régions françaises.
2. La prime à la surface sera réservée à la culture des oléagineux, des légumineuses, aux prairies et aux surfaces d’intérêt écologique. Elle sera de 400 €/ha jusqu’à 25 ha et de 200 €/ha au-delà, moyennant un assolement quinquennal (fatigue de la légumineuse).
3. Primes aux bovins et ovins, avec limite du nombre d’animaux primés, maintenues telles quelles.
4. Les exploitations qui s’agrandissent au-delà de 50 ha renonceront à toutes les primes.
5. De même, les exploitations consacrant plus de 12% de leur superficie fourragère au maïs renonceront à toutes les primes.
6. Chaque exploitation agricole percevra une prime calculée sur la base du nombre d’actifs, exploitants et salariés.
7. Fertilisation des terres en calcium, phosphore, potasse et matière organique conforme aux règles de l’agronomie.
8. Conditionnalité renforcée pour toucher les primes PAC, par exemple la restriction des phytosanitaires, le bien-être animal …

Deuxième pilier
1. Les primes agro-environnementales s’appliquent sur l’ensemble de l’exploitation.
2. Elles sont réservées aux cahiers des charges polyculture-élevage tels qu’appliqués en Bretagne. L’herbe est le principal aliment des bovins et des ovins.
3. Les prairies à base de légumineuses ne reçoivent aucun engrais azoté.
4. Les aliments concentrés distribués en complément sont limités ; en revanche pas de limite de chargement.
5. Les prairies sont exploitées suivant la méthode Voisin-Pochon pour maximiser les rendements et fournir l’alimentation d’une population en augmentation.
Au plus près des effets, l’échelon régional est à recommander notamment pour les mesures agro-environnementales et particulièrement dans les régions hydrologiques sensibles.

Arguments et commentaires relatifs aux propositions
présentés dans le même ordre et en correspondance

1. Il est injuste que les primes à l’hectare soient plus fortes dans les régions riches que dans les régions pauvres.
2. Il s’agit de développer les cultures oléo-protéagineuses et les prairies en Europe pour :
• ne plus être dépendant du soja importé ;
• freiner la monoculture céréalière en introduisant ces cultures dans l’assolement (rotation des cultures);
• contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique en stockant le carbone dans l’humus des prairies.
Les cultures oléo-protéagineuses et les prairies sont encouragées avec la prime sans limite de surface afin, comme on l’a dit, de promouvoir notre auto-suffisance en protéines.
3. Ce modèle (primes aux bovins/ovins plafonnées) correspond au modèle préconisé pour les primes à l’hectare.
4. La suppression des primes pour les exploitations s’agrandissant au-delà de 50 ha mettra le holà à l’accaparement des terres et à la disparition de nombreuses exploitations.
5. Le maïs-fourrage est une des causes majeures de pollution de l’eau par les nitrates. En effet, sa récolte tardive ne permet pas une culture intermédiaire « piège à nitrates ». Les grandes quantités de nitrates présentes dans le sol en automne sont lessivées dans la nappe phréatique et les cours d’eau.
Le maïs-fourrage est aussi une des causes principales de l’assèchement des nappes phréatiques et des cours d’eau en été, du fait de sa végétation estivale, contrairement aux céréales qui poussent au printemps. Il est donc incohérent d’encourager le maïs-fourrage par une prime. L’herbe s’y substituera et les agriculteurs feront des économies.
6. La prime calculée sur la base des actifs, en complément des primes à la surface, consolidera les petites exploitations et la polyculture-élevage. Elle constituera un moyen puissant pour revitaliser le milieu rural.
7. La terre bien pourvue en matière organique, calcium, phosphore et potasse est indispensable pour de bons rendements et une production alimentaire équilibrée pour notre santé. Un sol pauvre en ces éléments de fond n’est pas compatible avec une agriculture durable.
8. La conditionnalité des aides introduite en 2005 doit être renforcée. Propositions :
i. Indice de traitement de pesticides (phytosanitaires) inférieur de 60% à celui couramment pratiqué à l’échelle régionale, en attendant la suppression totale des traitements chimiques.
ii. Bien-être animal maximum : animaux vivant le plus longtemps possible en plein air ; logés dans des bâtiments sur litière ; fumier et compost épandus sur les terres contribuant à augmenter l’humus des sols, le rendement des cultures et la lutte contre le réchauffement climatique par le stockage du carbone dans le sol.
iii. Dix pour cent de la superficie totale de l’exploitation en surface écologique : bois, taillis, talus boisé, zone humide en herbe, prairies permanentes … pour protéger la biodiversité. Cette surface bénéficiera d’une prime équivalente à la prime pour les oléo-protéagineux et les prairies.
iv. L’excédent d’azote du bilan entrée/sortie sur l’exploitation (méthode INRA) sera inférieur à 50 kg N/ha. La comptabilité en fera foi. Ce point capital était prévu en 1998 dans la loi sur l’eau de Dominique Voynet.
v. Assolement des cultures au minimum triennal.
vi. Autonomie alimentaire des animaux au minimum de 80%, ce qui exclut de toute prime les exploitations possédant des élevages industriels hors sol.
vii. Parcelles en forte pente converties en prairies permanentes.
viii. Directives nitrates strictement appliquées.
Les trois contraintes actuellement imposées sur les paiements verts (5% de surface d’intérêt écologique ; diversité des cultures ; maintien des prairies permanentes) seront reprises dans les conditions générales du premier pilier. Tous les paiements seront désormais verts : une seule condition non respectée entrainera la suppression de toutes les primes.
• La conditionnalité est l’élément clef de la réforme. C’est elle qui réorientera le modèle productiviste actuel vers l’agro-écologie, base d’un modèle économique autonome à forte valeur ajoutée et préservant les sols, l’eau, l’air, les baies marines, la biodiversité et le revenu des agriculteurs.

Scénario d’application de ces propositions

Les calculs présentés dans les tableaux accompagnant la proposition présentent le scénario dans lequel les surfaces en prairies, oléo-protéagineux et les surfaces d’intérêt écologique sur l’exploitation sont primées à hauteur de 400 €/ha pour les 25 premiers hectares (primes redistributives), le reste à 200 €/ha.
Les vaches laitières sont primées comme aujourd’hui à 34 €/vache pour les quarante premières. Pour mémoire, les primes dégressives aux vaches allaitantes (elles n’apparaissent pas dans les calculs joints) seront maintenues comme actuellement, soit :
• 176 €/vache de la première à la 50è,
• 130 €/vache de la 51è à la 99è,
• 70 €/vache de la 100è à la 130è.
Les surfaces d’intérêt écologique seront au minimum de 10% de la surface totale de l’exploitation et seront primées à hauteur de 400 €/ha ou 200€/ha comme indiqué plus haut. Il s’agit d’encourager et de récompenser le rôle irremplaçable de ces surfaces pour protéger la biodiversité et lutter contre le réchauffement climatique.
De surcroît, il est suggéré pour le deuxième pilier de fusionner les cahiers des charges bio et agriculture durable pour conjuguer leurs atouts: interdiction des pesticides, moins de 12% de la surface fourragère en maïs, alimentation des herbivores à l’herbe principalement.
La prime calculée sur la base du nombre d’actifs, exploitants et salariés, est destinée à compenser la suppression de la prime à la surface céréalière et à encourager l’emploi et l’installation de jeunes agriculteurs pour revitaliser les campagnes françaises. Il est proposé de fixer son montant comme suit :
• pour les exploitations de 20 ha et moins de SAU (surface agricole utile) : 7.000 €/UTH (unité de travail humain = actif) ;
• pour les exploitations de plus de 20 ha : 5.000 €/UTH.
Au total, si les présentes propositions sont conçues pour soutenir les petites exploitations et les petits élevages aux coûts de production minimaux, elles ne négligent pas pour autant les plus grandes exploitations. C’est ce qui apparaît dans les tableaux qui suivent, d’où ressortent le montant des primes ramenées à l’hectare :
• 787 € / ha pour les exploitations de 20 ha et moins (40% des exploitations),
• 482 € / ha pour les exploitations de taille moyenne,
• 327 € / ha pour les exploitations de 100 ha,
• 259 € / ha pour les exploitations de 200 ha.
La réorientation des cultures de céréales vers les oléo-protéagineux devrait bénéficier aux exploitations de grande culture dans la mesure où les marchés intérieurs sont plus rémunérateurs et moins fluctuants que les marchés internationaux (la France est actuellement excédentaire en céréales) et où le développement de rotations intégrant les cultures oléo-protéagineuses est de nature à réduire les charges en engrais et en pesticides : tout bénéfice pour le cultivateur qui retrouvera de surcroît la considération des citoyens consommateurs, satisfaits de trouver moins de nitrates et moins de pesticides dans leur alimentation et dans leur environnement.
La balance commerciale gagnera par la réduction des importations de soja mais restera dépendante de la promotion de produits labellisés ou de terroir qui font déjà la réputation internationale de notre pays, tant sur les marchés étrangers que dans le tourisme mondial. L’agriculture autonome préconisée par l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA) il y a plus de quarante ans (rapport Poly) est une agriculture compétitive axée sur la haute valeur ajoutée.
Conclusion
Pour mettre en œuvre le Green Deal européen, les innovations agricoles décisives comprennent en France les initiatives suivantes :
1. réserver les primes à l’hectare aux surfaces en oléo-protéagineux et en prairies,
2. accorder une prime de 400 € / ha aux surfaces d’intérêt écologique,
3. accorder une prime pour chaque travailleur actif sur l’exploitation,
4. renforcer la conditionnalité pour toutes les aides de sorte qu’aucune aide ne sera accordée si une seule condition n’est pas remplie,
5. renoncer aux aides pour les exploitations qui s’agrandissent et celles possédant des élevages industriels « hors sol »,
6. réduire fortement les surfaces primées en maïs-fourrage,
7. mettre en œuvre les mesures agri-environnementales au niveau régional notamment dans les zones hydrologiques sensibles.

Budget

A l’échelon national (France), le budget s’établit comme suit :
• Prime calculée sur la base du nombre d’actifs :
o Exploitations de 20 ha SAU et moins : 170.000 x 7.000 = 1.190 millions €
o Exploitations de plus de 20 ha SAU : 654.000 x 5.000 = 3.280 millions €
• Primes aux prairies et oléagineux (1,5 m ha x 400) : 600 millions €
• Aides aux jeunes : 145 millions €
• Primes aux animaux (primes « couplées ») : 912 millions €
Total : 6.127 millions €
Par rapport à ce montant, l’excédent du budget PAC attribué à la France sera versé au deuxième pilier.
• Les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) seront entièrement prises en charge par la PAC au niveau européen, selon la logique du Green Deal.
• Elles seront mises en œuvre à l’échelon régional dans toute région hydrologique sensible comme la Bretagne.

André Pochon, Trégueux, le 31 mars 2020″